Entretien avec Stefano Miraglia
Commissaire d’exposition indépendant et artiste cinéaste.
Avant
d'arriver en résidence
à Rome, la
trame du Tardif était déjà imaginée mais comme toute narration
qui relève
de la science fiction, on comprend que cette trame avait besoin d’un
dispositif et d’un certain contexte. C'est un outil pour mieux
chercher, pour observer les choses - Rome, en l'occurrence - avec un
regard différent.
Avais-tu pensé
à cette
fonction-là de
la narration comme point de départ
de ton projet ? Je pense, surtout, à un
texte sur lequel tu es tombé pendant
tes recherches, celui de l'anti-fasciste Lauro De Bosis.
En
effet l’idée d’un programme aérospatial imaginaire à la
poursuite du coucher de soleil était une idée lointaine, une image
fantasmée. Et le contexte de résidence à permit de donner une
forme et un enrichissement à l’écriture. La nouvelle, même si
elle est déconnecté des événements terrestres, est pourtant
nourrie par les choses vues et découvertes sur le territoire romain.
L’histoire de Lauro De Bosis en fait partie, cet aviateur anti
fasciste qui survola les toits de Rome pour y jeter des tracts contre
la politique de Mussolini fût d’une inspiration capitale. Il y en
a d’autre, l’architecture du cinéma abandonné Airone de Libera
inspira l’habitacle de la salle d’observation dans l’avion, les
pieds sales dans les tableaux du Caravage l’usure du fuselage,
l’histoire du char de Phaeton relu dans les métamorphoses d’Ovide
les ambitions destructrices, l’allégorie du Crépuscule de Michel
Angle au tombeau des Medicis à Florence l’inachèvement du paysage
crépusculaire…
Quel
rôle
a joué dans
tes recherches pour Le Tardif l'acte de se promener tous les soirs à Rome
pendant trois mois ?
Les
sorties au crépuscule étaient en réalité un point de rencontre
temporel entre la ville de Rome et la fiction en train de se dérouler
dans les airs. C”est en effet le moment où le vaisseau survol la
ville de Rome, c’est donc les seuls instants où la fiction et la
réalité se rapprochaient géographiquement. De soir en soir, ce
rendez-vous était en dehors des recherches théoriques ou
historiques vu la journée. Les images du film sont donc intimement
liées aux instants vécus dans l’avion, d’un moins
symboliquement. Les deux objets présents dans l’exposition Le
Tardif etThe
Sunstill,
sont imprégnés et liés l’un à l’autre par les ambiances
qu’elles dégagent. Il revient aux lecteurs et aux spectateurs de
regrouper les indices ou « mystères » présents dans
chacun d’eux.
Sur
quelles bases
as-tu cherché et
choisi les lieux que tu as filmés
? As-tu suivi des parcours psycho-géographiques
?
Il
n’y avait pas de parcours prédéfini à l’avance, et mon but
n’était pas de jouer absolument sur la symbolique des lieux
filmés, il y en a, mais pas que. Souvent je filmais où je me
trouvais, peut importe l’attrait pour le paysage, je sortais ma
caméra et cherchais dans des lieux de vie quotidienne des sortes de
signe de la présence d’un déplacement. Tout de même je pourrais
citer quelques lieux choisis qui ont eu une importance, la place
Lauro de Bosis cité plus haut où se trouve l’obélisque de
Mussolini, le parc de Centocelle traversé par une surprenante piste
de décollage militaire, les colonnes qui soutiennent la Tangenziale
au bord de Pigneto, le village olympique, les vues de l’Observatoire
de Rome …
Tous
les processus qui sous-tendent la création
de ton oeuvre ont pour point commun évident
la longue durée
(les promenades, le tournage au quotidien, le montage, la durée
finale et, bien sûr,
cet avion qui n'atterrit jamais). Quelle est ta conception du temps
dans ta pratique artistique ? Quel rapport au temps as-tu dans tes
créations
?
La
question du temps est effectivement présente dans la plupart de mes
créations vidéos, j’y attache une grande importance, notamment en
relation avec la perception du déplacement, intime ou global. Dans
ce projet, cela se manifeste sous plusieurs formes, l’errance
géographique à l’échelle de la ville de Rome vu comme paysage
d’exploration inépuisable, et le déplacement supersonique, d’une
vitesse incroyable et pourtant plongé dans l’immobilité et
l’exploration mentale.
Etant
donnée
la durée
de ton film, quel modèle
de réception
envisages-tu pour les visiteurs ?
Le
film dure plus de 6 heures, effectivement cette durée implique une
réception partielle. L’idée d’englober un concept plus large
que le visible, ou que l’horizon, est pour moi une expérience qui
fait intervenir l’imaginaire. Le film comme la mise en espace de la
nouvelle forment une sorte de ligne de temps. Un espace dans lequel
le spectateur se glisse sans début ni fin.
Filmer
et poursuivre le crépuscule pour en restituer son déclin
continuellement est pour moi un geste narratif que j’ai tenté de
développer dans l’ensemble de mon travail à Rome. Cette idée de
mise en suspend d’un instant particulier de la journée forme alors
un terrain d’introspection à la fois du mouvement humain, des
contextes historiques et politique, mais aussi et une dérive
poétique, libre dans le ligne droite.